
Augustine Asta
Dans l’Evangile de Jean, Jésus dit: «Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres» (13, 34-35). Et c’est ce grand commandement de l’amour de Dieu qui résume assez bien la vie et le combat de Aïssa Doumara Ngatansou, militante des droits de femmes et catholique pratiquante.
Foi et espérance
Sa foi chrétienne est au cœur de son engagement. Elle considère sa mission de défense des droits des femmes comme une expression de sa foi, inspirée par les principes d’amour, de justice et de solidarité prônés par l’Evangile. Aïssa Doumara œuvre dans un esprit de compassion et de soutien, en accord avec les enseignements de l’Eglise catholique, pour aider les femmes à retrouver leur dignité, leur autonomie et leur sécurité. «La foi, c’est quelque chose de personnel et elle vous permet de réfléchir sur vous-même, sur l’existence de manière globale. Je crois que ça a été un très grand bien et un grand soutien dans tout ce que je fais. Le fait d’aimer l’autre comme moi-même», déclare-t-elle.
Cette figure emblématique dans la lutte contre la violence faites aux femmes au Cameroun, trouve dans l’amour de son prochain tout le sens de son engagement. «Lorsqu’on mène des actions en faveur de l’égalité de tous, il faudrait aussi poser des actes qui nous rendent -joyeux, qui ne puissent pas of-fenser l’autre. Il faudrait faire tout ce que l’on fait comme si on le faisait à soi même». «Ma façon de penser, d’espérer, de croire qu’il n’y a aucune situation permanente et de mettre en œuvre des activités est soutenue par ma foi», affirme Aïssa Doumara Ngatansou.
Le parcours de conversion
Née dans une famille musulmane, son histoire de conversion est partie d’une révolte d’adolescente. «J’ai voulu montrer à mon père que j’étais en désaccord avec certaines décisions qu’il avait prises à mon encontre», soutient-elle. Cette envie de se convertir est aussi liée à sa belle famille, raconte-t-elle: «Ma belle-mère était une très grande croyante catholique. C’est aussi grâce à elle que j’ai suivi le chemin, qui est devenu le mien», insiste-t-elle. Si sa conversion au départ a provoqué des fractures au sein de sa famille, la situation s’est heureusement apaisée par la suite. «Nous sommes restés en froid pendant une longue période. C’est bien après qu’il a accepté la situation». Ce fut un véritable soulagement pour celle que l’on surnomme affectueusement «l’avocate des femmes».
Au service du bien-être
des femmes
Son combat contre les violences faites aux femmes, qu’elle mène depuis 27 ans aujourd’hui, découle de son histoire personnelle. Un mariage forcé à l’âge de 16 ans. Mais la militante camerounaise avait déjà un esprit de combativité qui s’est développé au fil des ans. «J’ai pris conscience qu’il fallait que je m’accomplisse, que je prenne des décisions pour me réaliser, pour m’imposer autrement. Personne d’autre ne le ferait pour moi», déclare-t-elle.
A l’origine de son implication pour la cause des femmes, il y a aussi la question de la discrimination fondée sur le genre. «Très petite, j’ai perçu une différence de traitement entre mon frère et moi. Et je l’ai senti aussi bien au sein de ma famille qu’à l’école. En cinquième année de primaire, j’étais dans une école appelée «école des garçons», nous étions très peu de filles dans la classe, à peine une dizaine. Et le matin, lors-que l’on arrivait dans la cour de l’école, on se faisait brimer», explique-t-elle, précisant ensuite que «cette façon d’être traitée m’avait conduite à la fin de l’année à aller demander mon transfert pour aller dans une autre école qui était dénommée “école des filles”. Je me souviens, toute petite, j’ai affronté le responsable de l’établissement pour lui demander nos documents afin de quitter l’école, ma sœur et moi, pour aller nous inscrire dans une école de filles. Et je l’avais fait toute seule», rapporte-t-elle, pour démontrer la preuve de son engagement de longue date.
La recrudescence
des violences faites aux femmes au Cameroun
La question des violences faites aux femmes au Cameroun, comme dans de nombreuses autres régions du monde, reste toujours un sujet d’actualité. Une étude du Bureau des Nations unies pour les femmes Onu Femmes, effectué en 2018 révélait le fait que «un peu plus de 51% des femmes ont subi une forme de violence au Cameroun». Pour Aïssa Doumara «cela révèle la gravité de la situation» et surtout «qu’il faut mener des actions très fortes», insiste-t-elle. A ce tableau s’ajoute la résurgence des cas de féminicide et la pratique des mutilations génitales féminines qui, selon les statistiques, avoisinent les 20%. Ce même taux est enregistré pour les jeunes filles qui sont mariées soit de force, soit précocement.
Les femmes de cette partie du Cameroun subissent également de manière disproportionnée les effets du changement climatique. La sécheresse et les inondations inédites enregistrées récemment «ont mis plus de 560.000 personnes en difficulté, causé des dizaines de morts, tué des bétails et détruit des habitations». Et ce sont les femmes qui subissent le plus l’impact négatif de ces catastrophes naturelles, car elles sont «les productrices de nourriture». Le fait que leurs champs soient détruits «les expose à la malnutrition, à la sous-alimentation», «on rencontre des situations où les filles et les femmes sont les premières à se lever de table parce qu’il faut laisser le reste pour les plus jeunes ou pour les hommes», déplore-t-elle. En plus, «elles doivent aller très loin, chercher du bois pour la cuisine, et dans ces endroits là, elles peuvent être exposées à d’autres types de violences». «Les femmes enceintes sont parfois bloquées dans des endroits où elles ne peuvent pas avoir accès aux installations sanitaires, qui sont parfois inondées», souligne-t-elle.
Les répercussions
de la crise sécuritaire
La crise sécuritaire qui perdure depuis plus d’une décennie dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun a des effets continuels très néfastes sur les femmes et les filles. «Elles sont parmi le nombre de déplacés le plus élevé, soit 70%». Les femmes et les enfants déplacés, filles et garçons, sont obligés de quitter leur village. Sur le chemin «elles subissent toutes formes de violences, principalement le viol», déplore Aïssa Doumara Ngatansou. Aussi, «elles peuvent être obligées de se marier plus jeunes, pour soulager le reste de la famille».
Dans ce contexte de crise sécuritaire, Aïssa Doumara Ngatansou travaille avec des structures du gouvernement, et au niveau de la communauté, sur les questions de réintégration. «Nous menons des activités de sensibilisation sur la cohésion sociale, sur le pardon, sur la réintégration» afin que les communautés d’accueil, c’est à dire les villages d’où provenaient les personnes enrôlées dans la secte terroriste Boko Haram, «puissent les accueillir à nouveau». Des activités de sensibilisation sur les questions des droits en lien avec la paix sont aussi menées. La dimension psycho-sociale n’est pas oubliée. «Des centres de prise en charge psychologique ont été mis en place, puisque les activités de santé mentale sont primordiales», affirme la Camerounaise.